Euthanasie ou soin palliatif ?

Bonjour, je suis C***, le mari de R***, décédée ce début de janvier 22 dans le Service Covid du CHU de ***.
R*** a lutté contre son cancer des poumons pendant quatre ans.
Chirurgie à gauche puis à droite.  » Guérie « . Nodules neuf mois après au contrôle… Une unique chimio avec accident neuropathie++ (SAMU). Une médecin acupunctrice la retape en partie. Puis trente séance d’immunothérapie.  » Rémission « . Mais diabète, mais surpoids, mais grosse hernie et pas le moral car, pas injectée, elle ne peut plus refaire le monde à la terrasse de son bistrot favori avec tous ses amis.

Elle plonge doucement ; les trois étages et l’escalier en colimaçon deviennent frontière.

Certes, elle a ses 2,5l/mn d’oxygène, les infirmiers trois fois par jour, ses réseaux sociaux, le mari, la fille et la petite-fille, les cartes d’invalidité qui vont bien, le Service de la Mairie pour le ménage. On n’a pas pu créer l’ascenseur mais on recherche un logement plain-pieds.

 » C’était la veille de Noël « . Je suis positif (au corona bien-sûr). Elle, le lendemain. C’est le vendredi, jour de Noël. Mon toubib ne veut pas nous recevoir mais accepte d’ envoyer, via la pharmacie du coin, une prescription d’azithromycine (5 jours). Les médecins-ressources que j’avais visités des semaines auparavant, en prévision d’une telle situation, ne sont pas dispos. J’ai un nom à M***. Déjà en congé. Dans la ville d’à-côté, quelqu’un ne peut rien dans l’instant -c’est Noël- mais promet  » de ne pas nous laisser tomber »-il faut rappeler lundi-elle fera une ordonnance à la pharmacie- Je cours à l’officine et le pharmacien accepte de nous avancer l’ivermectine. Une amie nous passe, via le paillasson, un petit repas de Noël.

Les infirmiers ne veulent plus venir. Sans doute ils ont peur de se gâcher les Fêtes. R*** ne les reverra jamais.

Le lundi est arrivé et le pharmacien délivre le reste du traitement de 5 jours. Mardi, fin du traitement standard. L’oxymètre reste au-dessus de 90. Les infirmiers ont appelé pour conseiller de faire des relevés de température, tension, oxymétrie. Je fais donc un tableau. Sa médecin référente aura appelé aussi par deux fois -en téléconsultation ?- et puis plus rien car on approche du réveillon du jour de l’An…

Et puis, le mercredi, l’oxymètre ne veut plus rien savoir. Je pousse, en vain, le débit à 5l. Je propose de faire intervenir SOS Médecins mais R*** ne veut pas. Elle se sent bien. -J’ai appris par la suite qu’elle vivait peut-être ce qui est décrit comme  » l’hippoxie heureuse « .

Pour moi, ça allait mieux… J’ai cru que c’était gagné pour elle aussi. Là, elle aurait dû être vue par quelqu’un. Mais pendant 9 jours, on n’a vu personne. Et le dimanche 2 janvier, l’infirmier téléphone et appelle quand-même lui-même le SAMU.

Aux Urgences, je suis convoqué.  » Il lui reste peu de temps à vivre  » dit l’Équipe. Ils la transfèrent le lendemain dans le Service Covid. On lui dispense l’oxygène à haut débit. Là, pas de pronostic péjoratif. Avec ma fille, on reprend espoir. La règle, dans ce Service, c’est une visite par semaine… Sauf si c’est la fin ; dans ce cas, c’est libre. J’offre 50€ à mettre dans la cagnotte des soignants. Le mercredi, je peux revenir tout l’après-midi et ça ne m’étonne pas. R*** déguste sa mandarine et discute, malgré le boucan d’Enfer de la machine. Je la laisse, serein.

C’est 1h du matin. Je ne réalise pas de suite que c’est le coup de fil tant redouté. Il faut venir. Ma fille doit venir aussi. A l’entrée du CHU, c’est fermé. Mais il n’y a pas les cerbères à cette heure, pour contrôler le laisser-passer que je n’ai pas -je n’ai pas déclaré ma maladie à l’administration- et puis, quelqu’un sort.
Dans le Service, le Médecin de garde est là avec une infirmière, au chevet de R***. Ils reprennent pour moi, lui expliquant qu’elle est  » dépassée  » et qu’ils ne peuvent pas en faire plus que ce qu’ils ont fait. Elle est aussi consciente, semble-t-il, que la veille et son regard va de mes yeux à ceux des soignants. Ils réexpliquent que les poumons ne fonctionnent plus  » d’ailleurs, quand on a dû la débrancher, tout à l’heure, pour refaire le lit, la toilette, elle s’asphyxiait  »  » elle ne peut pas vivre sans la machine « . Elle est  » dépassée « . Ma fille arrive et on se fait réexpliquer. Et les gens se montrent très bienveillants et réexpliquent.  » il faut arrêter… on va vous expliquer le protocole « . On dit  » Vous êtes sûr ? « .

En fait, ils nous ont suggéré de les laisser pratiquer le Protocole (de sédation passive entraînant la mort). Ma fille me dira plus tard, mais je ne l’ai pas entendu moi-même, qu’elle a demandé à sa mère ce qu’elle voulait. Elle aurait répondu  » J’en peux plus « . Elle a donné son accord. Moi aussi. Dans un état de sidération.

Et le jeu des pousse-seringues est entré en action… Au bout de 5 minutes, on a fait rappeler le médecin car on a réalisé qu’on était en train de la tuer. Il est revenu, avec son infirmière et ils ont tout réexpliqué, patiemment. Et on a redit  » oui « . Et les pousse-seringues ont repris leur ronde. Tout du long de cette nuit, l’infirmière reviendra très souvent, tournant toujours davantage les rhéostats comme pour  » poussez les Feux « .
La respiration de R*** s’est apaisée alors que la machine débite toujours plein-pot son oxygène. On chantonne des vieilles chansons italiennes, moi et ma fille, tenant une main, de chaque côté du lit. On se rappelle les bons moments… et les moins bons. On pleure. On se dit qu’ils leur fallait libérer le lit, sûrement, pour l’heure de la relève -alors qu’elle est seule ou quasiment, dans ce service- Ma fille m’invite à méditer, comme elle, sur la chaise. Quelqu’un vient mettre un champ sur le scope ; on ne voit plus les chiffres. La pendule reste longtemps sur le 5. Trois personnes nous font sortir. A tête reposée, je suppose qu’il s’agissait sans doute de  » préparer  » la future défunte pour ne pas imposer ce travail à la relève.

La respiration de R*** est passée tout en haut, l’abdomen ne bouge plus. Le médecin vient. Il dit que tous se passe bien. Il prescrit un produit pour éviter  » les bruits « . L’infirmière s’exécute. Le débit d’oxygène est baissé. On entend mieux  » les bruits « .

R*** semble apaisée et respire doucement du haut des clavicules. Ma fille dit :  » Regarde, elle est en train de passer « . Il est 7h15. Quelqu’un stoppe l’oxygène et s’en va. Subitement, le front de R*** devient blanc. Il est 7h30. On se lève, on dit merci. On s’en va.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.